Climat : quatre questions sur le « cimetière de CO2 » inauguré en mer du Nord, qui stockera du dioxyde de carbone injecté sous terre
Acheminé par mer vers la plateforme Nini West, à la lisière des eaux norvégiennes, le gaz est transféré dans un réservoir à 1,8 km de profondeur.
Une première mondiale. Mercredi 8 mars, le Danemark inaugure en mer du Nord un premier site de stockage de dioxyde de carbone (CO2) importé de l’étranger. Le projet « Greensand », en phase pilote, est inauguré à Esbjerg, dans le sud-ouest du pays. Le dioxyde de carbone sera stocké sous la mer du Nord, à travers un ancien gisement de pétrole.
Cette inauguration s’inscrit dans un mouvement de développement des projets de captage et stockage de carbone (CSC), une technique présentée par certains comme une solution – non sans limites – dans la lutte contre le réchauffement climatique. En quoi consiste la capture et le stockage de CO2, et comment va fonctionner ce nouveau projet ? Que sait-on de l’efficacité de telles mesures pour freiner le dérèglement climatique ? Eléments de réponse.
1 Qu’est-ce que le captage et le stockage de carbone ?
Cette technique a pour objectif de capter le CO2, principal responsable du réchauffement climatique, puis de l’enfouir « dans une formation géologique pour éviter qu’il soit présent dans l’atmosphère », résume l’Agence de la transition écologique (Ademe) dans un avis technique (document PDF) sur le sujet. Le processus est réalisé en trois étapes : le captage, le transport de CO2 puis son stockage géologique.
Afin de capturer le dioxyde de carbone, il existe « un large portefeuille de technologies à des stades de maturité différentes », précise l’Ademe. La technique « commercialisée et mise en œuvre à l’échelle industrielle » est celle de « post-combustion par absorption aux solvants ». Concrètement, il s’agit d’utiliser des solvants pour extraire le gaz à effet de serre de fumées après une combustion, explique L’Usine nouvelle. Vient ensuite le transport de ce CO2 vers son site de stockage, qui peut être réalisé en train, en bateau ou par canalisation.
Enfin, plusieurs lieux sont possibles pour le stockage géologique de ce dioxyde de carbone. L’Ademe cite notamment d’anciens réservoirs d’hydrocarbure, comme c’est le cas pour projet « Greensand », des veines de charbon, mais également des aquifères salins, qui sont constitués de roches poreuses ou fissurées et qui contiennent de l’eau salée.
Selon un récent rapport du cercle de réflexion Global CCS Institute*, le nombre de projets de captage et de stockage de CO2 a augmenté de 44% en un an dans le monde. Il existe désormais près de 200 initiatives de CSC, dont 30 en service et 164 à un stade de développement plus ou moins avancé. L’institut assure qu’une fois achevés, ces projets permettront le captage et le stockage de 244 millions de tonnes de CO2 par an. Un résultat encore éloigné de l’objectif d’environ 1,2 milliard de tonnes de CO2 capturées et stockées par an à l’horizon 2030, rappelle l’Agence internationale de l’énergie*.
2 Comment va fonctionner ce projet « Greensand » ?
La particularité du projet « Greensand » est qu’il fait venir le dioxyde de carbone de l’étranger, plus précisément d’une usine du géant allemand de la chimie Ineos en Belgique, où le captage du carbone a déjà lieu, selon le site du projet*. Le CO2 est ensuite liquéfié et acheminé par la mer vers la plateforme Nini West, située en mer du Nord. Puis il est « envoyé sous terre via une plateforme offshore existante et un puits dédié à cet effet ». Le dioxyde de carbone est alors stocké de manière permanente à 1 800 mètres de profondeur sous la mer du Nord, dans un réservoir de grès.
Selon les acteurs du projet, « Greensand » va permettre, à l’horizon 2025 et 2026, de stocker 1,5 million de tonnes de CO2 par an. L’objectif est d’atteindre un stockage de 8 millions de tonnes de CO2 par an en 2030, soit environ 13% des émissions de CO2 annuelles du Danemark. « Comme notre sous-sol contient un potentiel de stockage bien plus important que nos propres émissions, nous sommes en mesure de stocker également le carbone provenant d’autres pays », s’est félicité auprès de l’AFP le ministre danois du Climat et de l’Energie, Lars Aagaard.
3 Pourquoi choisir la mer du Nord pour ce type de projet ?
La zone retenue abrite de nombreux gazoducs et réservoirs géologiques, devenus vides après plusieurs décennies d’exploitation pétrogazière. « Les gisements épuisés de pétrole et de gaz présentent de nombreux avantages, car ils sont bien documentés et il existe déjà des infrastructures qui peuvent très probablement être réutilisées », explique à l’AFP Morten Jeppesen, directeur du Centre des technologies offshore à l’Université technologique du Danemark.
La Norvège a ainsi lancé le projet « Northern Light », un terminal qui doit recevoir et stocker du CO2 issu des activités industrielles européennes. L’objectif est de pouvoir, à terme, stocker environ sept millions de tonnes de dioxyde de carbone par an dans ce réservoir. Début février, le groupe pétrolier TotalEnergies a annoncé qu’il avait obtenu deux permis au Danemark pour un potentiel projet de stockage de CO2, à plus de deux kilomètres sous la mer du Nord. L’objectif est d’y stocker cinq millions de tonnes de ce gaz à effet de serre par an, d’ici à 2030.
4 Quelle est l’efficacité de cette technique dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
La captation et le stockage de CO2 peuvent-ils être un instrument efficace pour freiner le réchauffement climatique provoqué par les activités humaines ? Auprès du Financial Times* (article réservé aux abonnés), Julian Allwood, coauteur du cinquième rapport du Giec, explique que « la technologie ne résoudra pas le changement climatique, parce qu’elle ne peut pas être déployée à l’échelle suffisante dans les temps ». Le problème se pose ainsi pour le CSC : « si nous voulions reprendre dans l’air la totalité de nos émissions de CO2, il faudrait y consacrer toute la production d’électricité mondiale et que celle-ci soit décarbonée », expliquait fin 2021 à franceinfo Jean-Marc Jancovici, fondateur du cabinet de conseil Carbone 4 et membre du Haut Conseil pour le climat.
Dans le dernier volet du sixième rapport du Giec, rendu public au printemps dernier et consacré aux solutions pour freiner le réchauffement climatique, les scientifiques expliquent que « le déploiement de dispositifs de captation du dioxyde de carbone, pour contrebalancer les émissions résiduelles, est inévitable », mais précisent que cela doit se faire en complément d’une solution essentielle : la réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre. « Il ne s’agit toutefois pas de dire qu’on peut continuer d’émettre des gaz à effet de serre. Plus les émissions résiduelles sont faibles, moins on a besoin d’émissions négatives pour les compenser », soulignait alors auprès de franceinfo Céline Guivarch, directrice de recherche au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement et coautrice du groupe 3 du Giec.
Dans un avis sur le sujet (document PDF), l’Ademe évoque le « potentiel limité » de ces techniques de CSC pour « réduire les émissions industrielles » en France. « Même en optimisant les technologies de captage (très consommatrices d’énergie), le CSC restera une solution coûteuse, car elle n’est adaptée qu’aux sites très fortement émetteurs, en nombre limité, et nécessite des adaptations au cas par cas », explique l’Agence. « Un autre défi porte sur l’acceptation sociétale de cette technologie, au regard des risques technologiques et sanitaires potentiels. »